Anapoima
ARCHITECTURE LOCALE & SOLIDAIRE
Comment bâtir un monde solidaire, tout en conservant et valorisant l’architecture locale dans le respect de l’homme et de l’environnement ?
Une architecture au service des valeurs culturelles
Le petit village d’Anolaima se situe à 70 km de Bogota.
Il est donc compliqué d’imaginer la pos- sibilité d’y transporter des matériaux lourds étant donné l’état des voies de communication.
Concevoir un projet en Guadua ( Bambou géant local )paraissait donc particulièrement adapté à ce territoire étant donné qu’elle pousse abondamment à l’état sauvage dans cette région.
En marge de ce village, une communauté religieuse, la Fraternité Saint Pierre a fondé une école en réponse à l’absence de structure scolaire dans la région.
Avec le développement de la structure scolaire, la capacité d’accueil des en-
fants a évolué mais la demande est tou- jours plus forte et les enfants plus nom- breux. C’est pourquoi ils ont impérativement besoin aujourd’hui d’un espace couvert leur permettant par exemple, de se réunir.
La réponse apportée à cette demande en concevant un bâtiment en guadua leur a paru parfaitement recevable. La structure de la chapelle de la mission étant en guadua, c’est un matériau qu’ils connaissent et auquel ils ont donc déjà fait appel.
Une concertation avec les missionnaires et les villageois (parents et enfants) m’a permis d’établir les lignes de force du projet. Il est ressorti de cette concertation que majoritaire- ment, la création d’un lieu de transmis- sion des savoirs pédagogiques, musi- caux et artistiques traditionnels, sous forme d’un auditorium extérieur, consti- tuerait un équipement pertinent et in- dispensable au service de l’école, du vil- lage d’Anolaima et des villages alen- tours.
Ce lieu en favorisant l’expression artis- tique tout en ajoutant une qualité de confort d’espace et de protection contre les intempéries serait à même d’amélio- rer les conditions d’enseignement, de conforter l’enthousiasme des parents dans la volonté d’offrir ce qu’il y a de mieux à leurs enfants, tout en pérenni- sant les valeurs culturelles ancestrales de la région.
Lieu de convivialité, de rencontres et d’échanges, ce bâtiment aurait aussi pour vocation de renforcer les liens hu- mains entre les Habitants et les diffé- rents villages, très éloignés les uns des autres en favorisant la cohésion sociale et en fonctionnant comme une « place de marché » dévolue à l’éducation et aux activités culturelles au sens large.
Les propriétés de la guadua évoquées plus haut, assurent une réponse sécuri- taire aux bâtiments à destination d’unpublique scolaire et familial, de résis- tance avérée aux séismes fréquents dans cette zone.
La présence abondante de la guadua dans la région en fait un matériau banal au point qu’il n’est pas prisé par la popu- lation locale qui en a oublié les perfor- mances techniques et l’associe toujours à la pauvreté.
Pourtant, l’efficacité de la réponse tech- nique à travers ce type de structure per- met une mise en œuvre simplifiée.
Pour redonner ces lettres de noblesse au guadua, il est également important de compter avec le facteur esthétique de la réalisation. Il faut en effet, que celle-ci fasse aussi la fierté de l’en- semble du village.
La forme architecturale tire parti de la pente en s’appuyant sur la topographie existante.
Elle s’inscrit dans la continuité des strates et vient en épouser les lignes courbes permettant de créer ainsi des gradins. Ceux-ci s’orientent dos à la pente, distribuant une grande scène centrale.
La forme architecturale «ouvre» dé- ploie l’usage du lieu : en soulignant la scène par un balcon, elle devient un ob- servatoire, une vitrine ouverte sur le paysage extérieur, sur l’exubérance de la nature.
Deux bassins d’eau encadrent la scène de chaque côté : la récupération des eaux de pluie s’écoulant du toit et ledrainage des sols environnants alimen- tent ces bassins.
Le choix de la présence des bassins d’eau tient aussi aux propriétés acous- tiques, esthétiques et lumineuses de ceux-ci, en servant de plan réflecteur et de caisse de résonnance pour les sons aigus et medium.
L’eau entretient une relation puissante avec l’architecture quand elle est envi- sagée comme un matériau aux qualités propres, une forme liquide inspirant une architecture aux formes fluides et mou- vantes ce qui est le cas du projet.
La forme architecturale de la toiture joue sur la perméabilité des espaces in- térieurs et extérieurs, le dedans est ou- vert sur le dehors et inversement. Une
importante canopée en bambou s’ins- crit dans la continuité des strates de la colline et vient protéger l’ensemble ar- chitectural des pluies tropicales dilu- viennes fréquentes et des glissements de terrain.
De façon générale, la structure fonc- tionne comme une coque d’éléments surfacique en porte à faux. La forme de la toiture en bambou, alliée aux capaci- tés acoustiques du matériau, renvoie le son de la scène vers les gradins, diffusé d’autant plus par le plan d’eau et la dalle béton.
Le projet est traversé par des espaces à ciel ouvert, comme au-dessus des cour- sives d’accès sur l’eau et la structure du projet, en restant apparente, génère l’ensemble des façades. Les structures apparentes fonctionnent alors comme brise soleil.
La façade ouest, quant à elle, libre de toute structure grâce aux porte-à-faux, cadre le paysage et la vue sur la vallée.
Ce projet architectural est exposé, vi- sible et pourtant inséré. Il agit comme un repère dans le paysage. Il doit susci- ter la curiosité, mais aussi une forme de fierté de la part des enfants et de la po- pulation. En inspirant du respect pour un matériau noble, adapté, durable et performant, il lui permet de retrouver sa juste place dans l’architecture sociale et durable colombienne.
21 juin 2018